Le cabaret des assassins et le rendez-vous des voleurs
Sans aucun doute, le Lapin Agile est le plus renommé des cabarets montmartrois, et peut-être aussi le plus petit. Niché sur les pentes de la Butte Montmartre, juste en dessous des dernières vignes, ce lieu a conservé son charme d’antan.
Ce cabaret, connu autrefois sous des noms évocateurs tels que "le cabaret des assassins" et "Au rendez-vous des voleurs", a acquis sa renommée dès 1886. La propriétaire de l’époque, Adèle Decerf, était réputée pour sa spécialité culinaire : le lapin sauté à la casserole.
Inspiré par cette spécialité, le dessinateur montmartrois André Gill a créé une enseigne emblématique : un lapin bondissant d’une casserole. De là, par un jeu de mots astucieux, "Le Lapin à Gill" est devenu "Le Lapin Agile". L’œuvre originale de Gill est d’ailleurs précieusement conservée au Musée de Montmartre, situé un peu plus haut, au 12 rue Cortot. Depuis le jardin nord de ce musée, dédié à l’histoire de Montmartre et de ses habitants, on jouit d’un magnifique panorama sur le flanc nord de la Butte, avec en premier plan les vignes et le fameux Lapin Agile.
En 1903, Aristide Bruant a acquis le Lapin Agile, confiant sa gestion à Frédéric Gérard, affectueusement surnommé Père Frédé. Jusqu’à la Première Guerre Mondiale, ce cabaret est devenu le rendez-vous des artistes montmartrois, attirant des noms comme Dorgelès, Carco, Renoir, Courteline, Picasso, Fargue, Utrillo, Van Gogh, Dullin, Forain, et d’autres, venus y apprécier les chansonniers.
Le Lapin Agile a inspiré de nombreux artistes, notamment Picasso. Son tableau "Au Lapin Agile", exposé aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York, illustre l’artiste en arlequin aux côtés de Frédé jouant de la guitare. Picasso s’est également inspiré du lieu pour son œuvre "La Femme à la corneille", un portrait de Margot, la future épouse de Mac Orlan.
Les écrivains ont également puisé leur inspiration dans ce lieu. Raymond Dorgelès avec "Château des Brouillards" et "Marquis de la Dèche", et Mac Orlan avec "Quai des Brumes", adapté au cinéma par Marcel Carné, bien que transposé au Havre.
L’histoire de ’Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique’ relate un canular artistique mémorable. En 1910, l’écrivain Roland Dorgelès a orchestré une farce audacieuse en utilisant Lolo, l’âne du célèbre cabaret Lapin Agile. Attachant un pinceau à sa queue, Dorgelès a permis à l’animal de réaliser une œuvre picturale. Présentée comme la création de Joachim-Raphaël Boronali, un peintre italien fictif, cette toile a même été exposée au Salon des Indépendants. Révélant plus tard la supercherie, Dorgelès soulignait ainsi sa critique des courants artistiques de son époque. La peinture, passée entre les mains de divers collectionneurs, est désormais exposée à l’Espace culturel Paul-Bédu à Milly-la-Forêt.
Le cabaret a préservé sa salle basse d’origine et reste ouvert presque tous les jours, sauf le lundi, de 21h à minuit. On y découvre un conservatoire des chansons populaires et anciennes, interprétées par des artistes variés, allant des chanteurs traditionnels aux auteurs-compositeurs-interprètes.
Il se veut un "conservatoire vivant de la Chanson Française". Fidèle à l’esprit de Montmartre, ce cabaret mythique s’attache à raviver les soirées parisiennes en célébrant le patrimoine culturel français. Loin des technologies contemporaines, il privilégie les performances authentiques où la musique et les voix se déploient sans artifices. Ce lieu historique sert également de tremplin pour les nouveaux talents, offrant une scène où interagir intimement avec un public chaleureux, rappelant les veillées traditionnelles françaises.
Franck Beaumont a contribué à cet article.
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22 Rue des Saules - 75018 Paris
Mardi au dimanche de 21h - 1H du matin.
Fermé le lundi